Tu es sans doute l'auteur qui donnait le plus volontiers des planches à Tchouc-Tchouc. Ça t’a plu ? Tu t'épanouis bien dans le travail "de commande" - de commande bénévole pour fanzines ?
Que je sois celui qui ait donné le
plus, je ne sais pas (ou c'est qu'on m'a donné pas mal de place alors), mais
j’ai donné volontiers en tout cas et avec plaisir oui ! Est-ce que je
m’épanouis bien dans le travail de commande… Je le vois rarement comme une
commande en fait, en tout cas pour Tchouc-Tchouc je ne le prenais pas comme ça
(aurais-je dû?)
Bien souvent sinon, quand on me propose de participer à un fanzine, tant que j'ai pas mis la main à la pâte, ça peut un peu me tracasser de savoir qu'est-ce que je viens bien pouvoir faire. Et je fouille dans tous mes placards pour trouver la farine et tout ça pour la pâte, je retourne ma cuisine dans tous les sens, en vain, et puis hop au dernier moment je me rends compte que les ingrédients étaient là sous mes yeux sur mon bureau (par exemple) et là c'est bon, c'est parti et je me dis que c'était vraiment concon de m'en faire. Bon mais c'est pas une règle générale non plus, et je n'ai jamais envoyé de gâteau à un fanzine. Pour Tchouc-Tchouc c'était peut-être un peu différent, j'étais plus « à l'aise » en général, j'abordais ça de manière assez détendue, sans doute beaucoup parce que c'était avec des amis proches et dont j’apprécie le boulot, Pierre Marty, Joseph Callioni, etc., et puis il y a le fait d'y participer dès le premier numéro (même si je suis pour rien dans l'initiative de la revue, dans son édition sa fabrication etc., ça me donnait quand même l'impression de faire partie d'une équipe, d'un « endroit » presque enfin un truc comme ça, je sais pas si je le formule bien...) Et de publier dans la durée aussi au fur à mesure des numéros, d'être un peu entraîné dans la machine, c'était assez chouette, stimulant. Et puis il y a aussi un certain nombre de pages qui n'ont pas été faites spécialement pour la revue, qui étaient déjà là.
Bien souvent sinon, quand on me propose de participer à un fanzine, tant que j'ai pas mis la main à la pâte, ça peut un peu me tracasser de savoir qu'est-ce que je viens bien pouvoir faire. Et je fouille dans tous mes placards pour trouver la farine et tout ça pour la pâte, je retourne ma cuisine dans tous les sens, en vain, et puis hop au dernier moment je me rends compte que les ingrédients étaient là sous mes yeux sur mon bureau (par exemple) et là c'est bon, c'est parti et je me dis que c'était vraiment concon de m'en faire. Bon mais c'est pas une règle générale non plus, et je n'ai jamais envoyé de gâteau à un fanzine. Pour Tchouc-Tchouc c'était peut-être un peu différent, j'étais plus « à l'aise » en général, j'abordais ça de manière assez détendue, sans doute beaucoup parce que c'était avec des amis proches et dont j’apprécie le boulot, Pierre Marty, Joseph Callioni, etc., et puis il y a le fait d'y participer dès le premier numéro (même si je suis pour rien dans l'initiative de la revue, dans son édition sa fabrication etc., ça me donnait quand même l'impression de faire partie d'une équipe, d'un « endroit » presque enfin un truc comme ça, je sais pas si je le formule bien...) Et de publier dans la durée aussi au fur à mesure des numéros, d'être un peu entraîné dans la machine, c'était assez chouette, stimulant. Et puis il y a aussi un certain nombre de pages qui n'ont pas été faites spécialement pour la revue, qui étaient déjà là.
Aimes-tu
essayer de faire des bandes dessinées qui soient le plus variées possibles ?
Qu'y a-t-il à chercher au bout de cette variété ?
Variées, oui un peu, comme des
ramifications ; « le plus possible », non, ce n'est pas une volonté
en soi, et dans les faits ce n'est pas le cas je pense... Ce qu’il y a à
chercher là-dedans, je ne sais pas si je saurais vraiment le dire, ou même si
je le sais ? Je sais que l'idée de me répéter et d'avoir l'impression de faire
toujours la même chose m'effraie assez... Le fait de reproduire le même
personnage d'une case à l'autre et faire qu'il soit ressemblant à chaque fois
m'est déjà assez difficile et peut me faire braire parfois... Donc bon... Mais
ça veut pas dire que je ne me répète pas non plus bien sûr... Après il y a
aussi que souvent je commence mes « bandes dessinées » un peu par
hasard, que je ne sais même pas tout de suite que j'en commence une, d'une
certaine manière (sauf quand je dois en faire une pour un fanzine par exemple,
ou pour un projet à deux, ou autres exceptions ), et qu'une fois que c’est
fini j'ai l'impression d'avoir épuisé mes ressources, que je suis tout nu sans
acquis et sans méthode et que tout sera à recommencer à zéro la prochaine
fois... si tant est qu'il y en ait une... Et souvent ces « bandes
dessinées », je les vois un peu comme des petits mondes avec leurs
aspects, leur « géographie », leur(s) logique(s), « leur
climat » propres, que je découvre
et dans lesquels je me promène... Et entre ces particularités et les formes
(graphiques narratives etc) qu'elles prennent c'est l'œuf et la poule pour
savoir qui vient en premier, elles existent ensemble... Bon et puis aussi au niveau juste de la
pratique ça me semble bien plus agréable... Enfin voilà, y aurait une variété
de réponses possibles à cette question, avec pleins de nuances de variations de
contre-exemples etc. etc. ...
Tu
as fait quelques expositions dernièrement, notamment dans la Drôme, dans une
mairie de village. Était-ce chouette ? Tu recommencerais ?
Oui, l'exposition n'est pas une
chose à laquelle je pense en général, mais en fait c'est assez chouette. Enfin
après pour ces expositions en particulier, c'était pour un projet qui a son
existence en livre (En attendant t’avenue,
édité par La 5ème couche), mais qui en exposition en prend une autre
(en frise), que je ne connaissais pas, et dont j'étais curieux de pouvoir être
le premier spectateur... Occasion qui ne m'aurait sans doute jamais été donnée,
si on ne m'avait pas invité à l'exposer. Il y a déjà ça, puis le rapport avec
les personnes qui viennent, regardent, imaginent des choses, échangent, c'est
très plaisant, différent, autre chose, moins « différé » qu'avec par
exemple un lecteur qui pourrait vous parler de votre livre après coup (logique),
peut-être plus « vivant » « spontané » (je ne veux surtout
pas dire ou sous-entendre que l'un est mieux que l'autre, les deux sont variés
et intéressants). Enfin c'est des situations. Dans la Drôme c'était dans le
cadre d'un parcours artistique avec plusieurs expos dans plein d'endroits
divers et variés (des fermes, des chapelles, des prés, etc.), c'était vraiment
le pompon, des moments, des rencontres surtout, des paysages extraordinaires.
Bon mais il me faudrait la place d'un roman pour bien parler de tout ça. Pour ce
qui est de revivre un truc pareil, enfin je veux dire pas pareil mais aussi
riche, ah oui je recommencerai tout de suite ; mais bien sûr c'est
complètement imprévisible, je n'avais pas du tout prévu que ce serait pour moi
aussi « bouleversant » (n'ayons pas peur des mots) comme
expérience.
Ce dont ces expériences d'exposition
m'ont aussi permis de me rendre compte, c'est que cette étiquette d'auteur au
travail pas très accessible, pour un petit cercle « d'amateurs
éclairés » que je croyais avoir collée dans la nuque (et qui grattouille
ou chatouille sans doute bon nombre de mes pairs), c'est dans une certaine
mesure vaguement de la foutaise. Dans la Drôme en particulier, j'ai eu la
chance de rencontrer plein de personnes différentes, avec leurs bagages
(culturels, mettons), leurs sensibilités propres, la plupart du temps
intéressées, curieuses, enthousiastes, généreuses dans leurs retours... Comme
disait l'admirable madame la maire du village : « Ah ben ça déplait
pas ». Donc bon ne faudrait-il pas peut-être regarder un peu en biais, de
côté pour mieux discerner ce qui rend certaines choses si
« inaccessibles » (en bande dessinée comme ailleurs) ?
Collage de la frise dans une rue de Clermont-Ferrand
Ta
première bande dessinée s'intitule Tito police des castors.
N'aurait-on pas dû la publier dans Tchouc-Tchouc ?
Oui, enfin c'est une sorte
d'histoire illustrée, dans un cahier d'écolier, les aventures d'un castor
policier d'Australie, mais ses enquêtes l'amenaient aux quatre coins du monde.
C'était essentiellement inspiré de Tintin et d'Inspecteur Gadget. C'était en
primaire, je me dépêchais de finir mes problèmes de math, les dictées, les
exercices de conjugaison et je faisais ça. À l'autre bout de la classe il y
avait mon meilleur copain avec qui je dessinais souvent qui s'adonnait à la
même pratique. Dans mon souvenir on achetait au moins un cahier par semaine à
la coopérative de l'école (une armoire au fond de la classe avec des
fournitures scolaires, qu'on ouvrait tous les débuts d'après-midi). Tous ces
cahiers sont pleins de débuts d'histoires, Tito c'est la seule que j'ai finie.
Il y a une idée marrante que j'aime
bien (Tito prisonnier d'une tribu « d'indigènes » sauve sa peau de
castor en chargeant son pistolet avec un morceau d'oignon, tire sur un nuage et
ainsi le fait pleurer, il passe donc pour un sorcier qui sait faire pleuvoir),
la fin est assez rigolote naïve et saugrenue aussi, mais en dehors de ça...
Ça
en est où, la bande intitulée Chicago-Paris Express, collaboration
avec Thomas Gosselin, dont le début est passé dans Tchouc 7 sous forme
crayonnée ? De quoi s'agit-il ?
Pour le moment il y a une vingtaine
de pages. J'avance plus ou moins vite ou plus ou moins lentement, ça dépend...
Je fais pas mal de pauses en fait, des petits sprints de quelques pages puis
soit parce que je suis pris par d'autres trucs
(une interview par exemple), soit parce qu'à un moment je bloque un
peu, que je le « sens » moins, je fais une pause jusqu'à que je sais
pas, jusqu'à que hop je me réveille un matin et je le sente à nouveau, etc.,
etc. C’est sans doute lié au fait que j'avance vraiment case par case sur la
page pour le coup, je ne fais pas de découpage, de story-board au préalable, ce
n'est peut-être pas la méthode la plus efficace, « rentable », mais
ça me convient bien de faire comme ça. Pauvre Thomas qui attend.
Il s'agit d'une bande dessinée dont
le scénario a donc été écrit par Thomas Gosselin qui attend, et qui commence
comme une histoire policière, un film noir des années 40 et puis après bon je
ne peux pas trop en dévoiler plus sur son déroulement, ce serait comme dire à
quelqu'un qui ne l'a pas lu que dans Le
meurtre de Roger Ackroyd le meurtrier c'est...
Tu
es plutôt rotring ou plume ? Pour quelles raisons ? Tu t'intéresses aux outils
?
Hmm les deux, et d'autres stylos encore... De préférence ceux qui me permettent d'avoir un trait plutôt fin... Le format sur lequel je vais dessiner va jouer beaucoup jouer pour le choix, j'ai souvent travaillé en a5, et là je me sens vraiment plus à l'aise avec un rotring, ensuite c'est pas mal une histoire de densité, de pesanteur, et surtout de tempo de rythme de durée du dessin, de chaque trait, que je souhaite (ou que le dessin ou le trait lui-même souhaite) qui va faire que je vais privilégier tel outil ou tel autre... C'est pas toujours la même danse... Le fait qu'untel ou untel tienne dans une poche ou non, s'il est plus ou moins portatif. Et puis parfois aussi des choses très bêtes, mon pot d'encre est vide, c'est dimanche, je vais prendre alors mon rotring, bon j'arrive pas à le déboucher, je vais essayer de retrouver ce petit stylo noir que j'aime bien, mince je le retrouve pas, faudrait que je range chez moi, bon ben tiens si j'essayais le stylo bille etc... Ah et selon le papier aussi que j'ai sous la main, ils ne s'entendent pas tous aussi bien avec tout le monde...
Mur de l'atelier de François Henninger
Tu
aimes travailler avec Thomas Gosselin ? Aimes-tu mettre de toi-même dans une
partie d'un travail, autant que dans l'ensemble ?
Oui j'aime bien travailler avec
Thomas. Je pense qu'on a pas mal d'atomes crochus, ce qui est important pour collaborer.
Ce que je trouve agréable, confortable dans une collaboration, c'est qu'il y a
une base, celle du scénario, que je ne vais pas remettre en question, enfin je
peux discuter de détails, mais en gros disons qu'il y a une fondation solide
sur laquelle je vais prendre plaisir à poser mes petites briques, plus ou moins
au petit bonheur la chance selon les collaborations, et voir ce que ça donne.
Et c'est comme de l'énergie économisée pour moi que je vais pouvoir
« investir » en plus dans la seule partie qui me revient, qui me
permet peut-être d'aller un peu plus loin dans tout ce qui est mise en scène,
dessin, que quand je fais une bande dessinée seul... Enfin du moins ailleurs je
pense, que là où je serais peut-être allé...
Serais-tu
d'accord pour dire que ton apport à Lutte des corps et chute des
classes était de l'ordre d'un enrichissant sabotage ? S'agissait-il
d'approfondir en contrecarrant ? D'abonder en endiguant ? Ou quoi ?
Sabotage c'est peut-être un peu
fort, mais y a peut-être un truc qui s'est fait comme ça, pas forcément de
façon clairement décidée sur le moment... Je m'en rends aussi compte
maintenant, où je n'aborde, n'épouse pas son nouveau scénario de la même
manière du tout... Il y a aussi que Lutte
des corps a été construit en chapitres, Thomas n'avait pas écrit
toute l'histoire, il me donnait une tranche de scénario, je le dessinais, et
lui n'écrivait la tranche suivante que plus tard, donc y avait peut-être comme
un jeu de ping-pong entre nous. Enfin, il faudrait aussi lui poser la question
pour ça...
On peut peut-être dire que j'ai
répondu œil pour œil dent pour dent au « fantasque »
« farfelu » « labyrinthique » de son scénario, en essayant
de jouer le même jeu mais avec mes armes à moi ?
Ce qui en rajoute une couche oui...
Mais je sentais que ce scénario (Lutte
des corps et chute des classes) se prêtait à ce jeu, ça s'est fait de façon
assez simple, ludique, alors que pour la nouvelle bande dessinée qu'on fait
ensemble je pense que ça ne marcherait pas du tout, enfin ça desservirait
l'histoire dans laquelle là il faut qu'on s’embarque s'immerge…
Aimes-tu
de la nonchalance dans le travail des autres ? Est-ce pour toi l'élégance ?
Je ne sais pas si je pourrais être
aussi catégorique, mais c'est vrai que ça m'intéresse de déceler ça, ou quand
je crois la reconnaitre au détour d'un chemin j'apprécie cela. Même si je ne
peux pas vraiment dire de manière cernée ce que c'est ? Une sorte de mince
crête entre le versant besogneux et le versant « à la dégage » d'une
même montagne ? Ou ça résulte peut-être plus d'un état de l'auteur à un moment
(si on parle de nonchalance dans le cadre de la création), une sorte de point
un peu diffus entre concentration et non-concentration ? Une force tranquille
qui ne pense pas vraiment à elle-même, un peu comme une rivière (qui peut donc
paraître agitée) ? Mais sans doute qu'à un moment il en faut toujours une
certaine dose, sinon on passerait sa vie sur le même dessin ? La chose qui me
manque dans cette réponse ? Mais ça ne se provoque pas trop en claquant des
doigts... Ça passe
peut-être par-là, rentre par l'oreille droite et ressort par la gauche ou
l'inverse à un moment, ou par le nez, ou, bref... Ah mince je me rends compte
que j'ai mal lu la question, c'était « de la » nonchalance et non « La »
nonchalance... J'ai fabriqué un comptoir pour pouvoir y philosopher pour rien,
à moins que je puisse réutiliser les planches, en trouvant un éditeur qui
veuille bien les publier qui sait ?
La
discrétion est-elle une chose qu'on subit ou qu'il faut cultiver ? Est-elle
bonne pour la santé - la santé artistique, peut-être ?
Je suppose que ça veut dire que je
suis discret, que mon travail l'est ? Mais pas suffisamment si ça se remarque ?
Je suis allé voir un médecin pour avoir son avis pour la deuxième partie de la
question... Mais à 19h il a fermé son cabinet en m'oubliant dans la salle
d'attente.
À quand une nouvelle bande dessinée « en solo » ? Tu sais bien que
les gens qui ont aimé Un novembre en redemandent ! C'est
difficile de faire des livres ? C'est simplement une question de temps ?
Depuis Un novembre, j'ai fait un livre seul, En attendant t'avenue, et là je fais de temps en temps des histoires
courtes (dont pas mal ont été publiées dans Tchouc-Tchouc) que j'aimerais bien
pouvoir compiler en album un jour... Quand ? Je ne sais pas... Travailler sur
un livre n’est pas trop difficile une
fois que j'ai les mains dans la pâte. Mais oui, en effet ce coquin de temps
entre en jeu, il y a des idées que je trimbale depuis des années par exemple
avant qu’arrive le moment où je trouve dans quel plat l'ajouter... ça peut
juste être plus ou moins long jusqu'à que je trouve la marmite... Une histoire
de « moments » donc beaucoup, puis bien sûr ensuite le temps de
réalisation, chaque projet a le sien propre, sa durée et son rythme à lui.
Tu
veux parler d'une chose que tu as aimée dernièrement et qui te paraîtrait
mériter d'être mise en valeur ?
Euh le truc qui me vient c'était y a
quelques temps. Un matin en montant en ville, une vingtaine de mètres avant de
rentrer dans le jardin public qui se trouvait sur ma route, cette pensée a
traversé soudain mon esprit : « Tiens aujourd'hui je vais voir un
écureuil »... Plus loin, dans le jardin, au détour d'un virage, sur
la pelouse j'ai vu l'animal en question, il n'a pas noté ma présence et j'ai pu
le regarder un petit bout de temps gambader puis grimper dans un arbre et se
percher sur une branche, grignoter un truc. Il m'a repéré, on s'est contemplé
jaugé l'un l'autre pendant mettons une dizaine de secondes... Puis il est
parti... Je suis peut-être un peu à côté de la plaque là...
F. Henninger a eu l’idée de terminer cet entretien en proposant un
petit texte de Felisberto Hernandez, que voici :
FAUSSE EXPLICATION DE MES NOUVELLES.
Contraint, ou trahi par moi-même, me voici dans l’obligation de dire comment j’écris mes nouvelles. Je ferai donc appel à des explications qui leur sont extérieures. Mes nouvelles ne sont pas tout à fait naturelles, si l’on entend par là que la conscience n’y intervient pas. Cela me serait antipathique. Elles ne sont pas dominées par une théorie de la conscience. Cela me serait extrêmement antipathique. Je dirais, plutôt, que cette intervention est mystérieuse. Mes nouvelles n’ont pas de structures logiques. Malgré sa vigilance constante et rigoureuse, la conscience m’est inconnue, elle aussi. À un certain moment, je pense que, dans un recoin de ma personne, une plante va naître. Je commence à la surveiller, car je pense qu’un événement bizarre a eu lieu dans ce recoin et qu’il peut avoir un avenir artistique. Si cette idée n’échoue pas complètement, je serai heureux. Pourtant, je dois attendre un certain temps dont la durée me demeure inconnue : je ne sais comment faire germer la plante, comment favoriser et protéger sa croissance ; je pressens seulement qu’elle aura de feuilles de poésie ou quelque chose qui se transformera en poésie si certains yeux la regardent. Ou je le souhaite. Je dois éviter qu’elle occupe un trop grand espace, qu’elle prétende être belle ou intense, mais il faut qu’elle soit la plante qu’elle est destinée à être et je dois l’aider à le devenir. En même temps, elle poussera en accord avec celui qui la contemplera et à qui elle ne fera pas vraiment attention s’il veut lui suggérer trop d’ambitions ou de grandeurs. S’il s’agit d’une plante maîtresse d’elle-même, elle aura une poésie naturelle, qu’elle ignorera. Elle doit ressembler à une personne qui ne sait pas combien de temps il lui reste à vivre ; elle aura ses propres besoins et une fierté discrète, un peu maladroite et apparemment improvisée. Elle ne connaîtra pas ses lois, bien que profondément elle en ait et que la conscience ne puisse les atteindre. Elle ne connaîtra ni la manière dont la conscience interviendra, ni à quel degré, mais en dernière instance, elle imposera sa volonté. Elle lui apprendra à être désintéressée.
Une chose est sûre : je ne sais pas comment j’écris mes nouvelles, parce que chacune d’elles a sa vie propre et étrange. Mais je sais, aussi, qu’elles se battent continuellement avec la conscience pour éviter les étrangers qu’elle leur recommande.
Œuvres complètes de Felisberto Hernandez, page 629, éditions du Seuil
https://francoishenningif.tumblr.com/
FAUSSE EXPLICATION DE MES NOUVELLES.
Contraint, ou trahi par moi-même, me voici dans l’obligation de dire comment j’écris mes nouvelles. Je ferai donc appel à des explications qui leur sont extérieures. Mes nouvelles ne sont pas tout à fait naturelles, si l’on entend par là que la conscience n’y intervient pas. Cela me serait antipathique. Elles ne sont pas dominées par une théorie de la conscience. Cela me serait extrêmement antipathique. Je dirais, plutôt, que cette intervention est mystérieuse. Mes nouvelles n’ont pas de structures logiques. Malgré sa vigilance constante et rigoureuse, la conscience m’est inconnue, elle aussi. À un certain moment, je pense que, dans un recoin de ma personne, une plante va naître. Je commence à la surveiller, car je pense qu’un événement bizarre a eu lieu dans ce recoin et qu’il peut avoir un avenir artistique. Si cette idée n’échoue pas complètement, je serai heureux. Pourtant, je dois attendre un certain temps dont la durée me demeure inconnue : je ne sais comment faire germer la plante, comment favoriser et protéger sa croissance ; je pressens seulement qu’elle aura de feuilles de poésie ou quelque chose qui se transformera en poésie si certains yeux la regardent. Ou je le souhaite. Je dois éviter qu’elle occupe un trop grand espace, qu’elle prétende être belle ou intense, mais il faut qu’elle soit la plante qu’elle est destinée à être et je dois l’aider à le devenir. En même temps, elle poussera en accord avec celui qui la contemplera et à qui elle ne fera pas vraiment attention s’il veut lui suggérer trop d’ambitions ou de grandeurs. S’il s’agit d’une plante maîtresse d’elle-même, elle aura une poésie naturelle, qu’elle ignorera. Elle doit ressembler à une personne qui ne sait pas combien de temps il lui reste à vivre ; elle aura ses propres besoins et une fierté discrète, un peu maladroite et apparemment improvisée. Elle ne connaîtra pas ses lois, bien que profondément elle en ait et que la conscience ne puisse les atteindre. Elle ne connaîtra ni la manière dont la conscience interviendra, ni à quel degré, mais en dernière instance, elle imposera sa volonté. Elle lui apprendra à être désintéressée.
Une chose est sûre : je ne sais pas comment j’écris mes nouvelles, parce que chacune d’elles a sa vie propre et étrange. Mais je sais, aussi, qu’elles se battent continuellement avec la conscience pour éviter les étrangers qu’elle leur recommande.
Œuvres complètes de Felisberto Hernandez, page 629, éditions du Seuil
https://francoishenningif.tumblr.com/